12
Mai
2025

L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925

Comme explicité au sein de notre premier billet, si le style art déco émerge dès les années 1910, il tire son nom de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, organisée en 1925 à Paris. Nous en fêtons d’ailleurs le centenaire ces jours-ci, cette dernière ayant ouvert le 28 avril.

                Pour autant, quel est le contexte de cette exposition de 1925 ? Pourquoi organiser une exposition à Paris 7 ans après la Première Guerre mondiale, et quels enjeux recouvre son intitulé très spécifique, lié aux arts décoratifs et industriels ? Enfin, quel est l’impact de cette exposition dans l’historiographie postérieure ?  

L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925

Les expositions, un rôle majeur dans l’historiographie

D’une part, les expositions en tant que telles, qu’elles soient internationales, universelles, ou simplement locales, sont des éléments majeurs dans le cadre de l’historiographie et l’histoire de l’art. Comme l’indique l’historien italien Guido Abbatista, ces dernières constituent « Le médium de communication de masse le plus influent au XIXe siècle et au début du XXe siècle » (1).

                Depuis les premières expositions périodiques imaginées lors de la Révolution française, jusqu’aux expositions universelles du XIXe-XXe siècle, en passant par les nombreuses expositions internationales spécialisées ; ces évènements constituent un état artistique, historique et politique du monde à un moment précis. 

                La classification de ces expositions n’est définie qu’en 1928, avec la convention de Paris et la création d’un Bureau international des expositions (BIE). Ainsi, une exposition internationale ou universelle va devoir comporter « un but principal d’enseignement pour le public, faisant l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les besoins d’une civilisation et faisant ressortir dans une ou plusieurs branches de l’activité humaine les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir ». Dès lors qu’une exposition va comporter plus d’un pays participant, elle sera qualifiée d’internationale (2). Les expositions universelles seront régies plus tardivement, jusqu’à l’organisation d’une exposition universelle tous les cinq ans (3).

              La France est un pays accueillant un grand nombre de ses expositions, et ce depuis le XIXe siècle. Durant l’Entre-deux-guerres, deux moments importants rythment ce calendrier des expositions : l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 ; ainsi que l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie modernes de 1937.
 

Un projet maintes fois reporté

               Comme l’indiquais le premier article consacré au mouvement « Art déco », c’est dès la fin de l’Exposition Universelle de 1900, déjà présentée à Paris, que la France souhaite organiser une nouvelle exposition, dans la lignée des expositions de Turin de 1902, de Milan en 1906 et de Rome en 1911.  On s’interroge sur la notion de modernité, alors même que l’Art Nouveau s’essouffle, après un dernier éclat dans l’Exposition internationale de l’Est de la France de 1909. 

                 En juin 1911, l’Union Centrale des Arts décoratifs (UCAD), en s’associant avec de nombreuses sociétés artistiques, remet au gouvernement un rapport défendant l’organisation d’une exposition. Prévue pour 1915, elle aurait pour objectif de répondre à la concurrence des productions des autres pays européens, en particulier l’Allemagne, présentée comme occupant une place prépondérante dans les importations de mobiliers en France (4)

                  Après un projet validé par la chambre des députés courant 1912, l’exposition est reportée à 1916, puis abandonné du fait de la Première Guerre mondiale (5). C’est à partir de 1919 que le projet revient. Après un passage législatif, l’exposition est planifiée pour avril-octobre 1925, l’année suivant les jeux olympiques. La loi indique que l’exposition se tiendrait en plein centre de la capitale, au niveau de l’esplanade des Invalides, autour du Grand et du Petit Palais, ainsi que sur les quais de Seine et le pont Alexandre III. Cet emplacement central, qui impose la construction d’édifices éphémères, est largement critiqué par la presse pour son coût financier (6). La mairie de Paris valide malgré tout la concession du terrain pour une mise en place début 1925.


Être moderne

Lors de sa définition règlementaire, cette future exposition, dénommée Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes, organisée pour 1925, va reprendre les mêmes dispositions que les expositions de Turin, Milan ou Rome, précédemment citées, sur le caractère moderne des œuvres présentées, et la sélection qui pourra être opérée : 

« Sont admises à l’exposition les œuvres d’une inspiration nouvelle et d’une originalité réelle exécutées et présentées par les artistes, artisans, industriels créateurs de modèles et éditeurs et rentrant dans les arts décoratifs et industriels modernes. En sont rigoureusement exclues les copies, imitations et contrefaçons de styles anciens. » (7)

                L’intitulé de cette exposition, et son règlement, définissent ainsi l’axe dans lequel la manifestation est organisée. D’une part, il s’agit avant tout d’une exposition des arts décoratifs dans leur ensemble, incluant donc une multiplicité de disciplines, mais également de productions industrielles. Le règlement précise en outre qu’un artiste, artisan, mais aussi un créateur de modèles industriels, voire un éditeur d’objets ; peuvent exposer au sein de la manifestation. Ce qui ouvre la porte à la participation d’industries spécialisées dans les arts décoratifs, d’ateliers de création, d’ensembliers… Qui auraient pu être exclus des expositions précédentes. 

                L’Exposition ne sera qualifiée que comme une exposition internationale, car son caractère n’est pas aussi universaliste que les expositions parisiennes de 1889 et 1900 : il s’agit d’une exposition spécialisée dans les arts décoratifs. L’absence de certains pays importants, comme l’Allemagne (pour des raisons évidentes) ou les États-Unis, explique également cet aspect restreint.

Surtout, ce qui prime dans ces deux définitions, c’est la notion de modernité : il faut que les productions soient nouvelles, qu’elles n’aient jamais été présentées et qu’elles ne constituent pas une reprise ou une copie de styles précédents. On écarte donc a priori tout pastiche de l’Art Nouveau ou de l’historicisme et l’éclectisme, qui ont pu jalonner la fin du XIXe et le début du XXe siècle. 

 

L’inauguration de l’exposition de 1925

L’exposition des arts décoratifs ouvre ses portes le 28 avril 1925, alors même qu’un certain nombre de pavillons ne sont toujours pas achevés (8). Au total, ce sont près de 150 pavillons et galeries, répartis entre l’esplanade des Invalides, le pont Alexandre III, les berges de Seine ainsi que le Grand Palais qui sont proposés aux visiteurs (près de 50 millions à l’issue de la manifestation). 

Comme attendu, un certain nombre de pays invités sont représentés, avec leur pavillon dédié. Les régions françaises, nous aurons l’occasion d’y revenir, ont édifié leur propre édifice, aux côtés des pavillons des sections artistiques (ou « classes »). Enfin, comme le précise le règlement, certaines entreprises, groupements artistiques et sociétés industrielles ont produit leur propre pavillon. 

                Cette multiplicité de participations, qui ouvre au public progressivement tout au long des mois d’avril, mai et juin, synthétise les différentes réflexions architecturales, artistiques et décoratives autour de la notion de modernité. Certains pavillons, comme celui du décorateur-ensemblier Rulhmann, s’inscrivent parfaitement dans cette nouvelle esthétique géométrique et décorative, le futur Art déco. D’autres, comme le pavillon de l’Esprit Nouveau et celui de l’URSS, sont dans des considérations architecturales plus avant-gardistes, à contrecourant du style décoratif, avec le Mouvement Moderne et le constructivisme. Certains proposent des témoignages régionalistes, tels que le pavillon de Mulhouse ; ou encore conçoivent la modernité comme une reprise d’une esthétique traditionnelle, tel le pavillon italien. 

                Cette diversité transparaît dans le discours porté sur l’architecture et les arts décoratifs contemporains à l’exposition. Certains sont jugés « modernes », « d’autres ultra-modernes », certains autres encore « contemporains ». Pour autant, la littérature fait la part belle aux témoignages particulièrement décoratifs, comme Rulhmann précédemment cité, ou encore les pavillons Christofle-Baccarat, de la manufacture de Sèvres : l’exposition de 1925 est celle des arts décoratifs. 

                Au cœur de cette exposition figure enfin un édifice central, en plein cœur de l’esplanade des Invalides : un pavillon lorrain, intitulé « Nancy et l’Est ». Nous en reparlerons dans un prochain billet…

 

(1) Guido Abbattista, Umanità in mostra. Esposizioni etniche e invenzioni esotiche in Italia (1880- 1940), Trieste, Édition EUT, 2013, p. 35.

(2) Protocole portant modification de la convention signée à Paris le 22 novembre 1928 concernant les expositions internationales, disponible sur : https://www.bie-paris.org/site/images/stories/files/BIE_Convention_fr.pdf

(3) Bureau International de Expositions (BIE), disponible sur : https://delegazioneunesco.esteri.it/rappunesco/fr/altri%20dettagli/bie%20-%20bureau%20internazionale%20delle%20esposizioni

(4) Union Centrale des Arts Décoratifs, Rapport sur une Exposition internationale des Arts Décoratifs Modernes - Paris 1915, Paris, s.e., juin 1911.

(5) Roblin Pierre, Rapport fait au nom de la Commission du commerce et de l’industrie chargée d’examiner la proposition de loi tendant à organiser en 1915, à Paris une Exposition internationale des arts décoratifs modernes, Paris, Impr. de la Chambre des députés, 1912

(6) Elie-Berthet G., « Un projet inadmissible - Pendant cinq ans, les communications seraient interrompues entre les deux rives de la Seine », L’Écho de Paris, 11 octobre 1923, p. 1.

(7) Union Centrale des Arts Décoratifs, op. cit., p.3.

(8) Par exemple, le pavillon de Nancy et de l’Est de la France ne sera inauguré que le 20 juin.

Pavillon de l'Esprit Nouveau à l'Exposition

Musée des Arts Décoratifs, Fonds Edition Albert Lévy, inv. EAL 1-74 © Photo distr. Les Arts Décoratifs / éditions Albert Lévy.

Pavillon de l'Ensemblier Ruhlmann à l'Exposition

Ce pavillon, intitulé "l'hôtel du collectionneur", met en exergue la diversité des productions de l'entreprise d'Émile Ruhlmann.

Crédits Archives de la planète - Albert Kahn

Vue de l'Exposition de 1925

Au centre, le pont Alexandre III et sa rue de boutiques. En partie supérieure, l'Esplanade des Invalides. Le long de la Seine, les pavillons d'entreprise, des régions et le village français jouxtent le Grand et le Petit Palais.

L'Exposition de 1925 depuis l'esplanade des Invalides

Vue de l'allée principale de l'Exposition des arts décoratifs de 1925. On distingue notamment en partie droite les pavillons de Lyon/Saint-Étienne et de Mulhouse. À gauche, un certain pavillon de Nancy... 

Crédits Archives de la planète - Albert Kahn

Le pavillon de l'Italie à l'Exposition

Vue de ce pavillon à l'architecture classique, inspiré des productions antiques italiennes. 

Crédits Archives de la planète - Albert Kahn

Le pavillon de l'URSS à l'Exposition

Crédits Archives de la planète - Albert Kahn

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